C'est un peu long, et je ne connais pas les balises pour mettre en exergue les passages cruciaux.
Extraits de Être esclave, (((Catherine Coquery-Vidrovitch))) et Éric Mesnard.
"En 1415, sous l’impulsion du prince Henri le Navigateur, les Portugais prirent pied en Afrique, à Ceuta sur la Méditerranée. Ils mirent en place une navigation côtière et entrèrent en contact assez pacifiquement avec les principautés du littoral. Ils y avaient, tout comme leurs partenaires, intérêt, car ils faisaient du commerce de port en port, apportant de la pacotille européenne et approvisionnant tel ou tel chef local en esclaves, en produits vivriers ou en autres marchandises. Déjà installés à Madère, ils s’établirent au milieu du XVe siècle à Arguin, petite île située en face des côtes marocaines, où ils ramassèrent quelque mille esclaves par an, échangés à raison d’une dizaine pour un cheval. Dès 1452 et 1455, des bulles du pape Nicolas V autorisèrent la couronne du Portugal à déposséder « musulmans, païens et Noirs » et à en faire des esclaves. Le long du littoral marocain, les Portugais ont obtenu le droit de construire des entrepôts fortifiés qui étaient des zones franches cosmopolites où se côtoyaient marchands chrétiens, juifs, musulmans et berbères, qui échangeaient céréales, textiles, or, cuivre, selles de chevaux, poisson et, bien entendu, esclaves. Juifs et Berbères surtout devinrent les courroies de transmission marchande entre chrétiens et musulmans, car ils étaient reconnus tels à la fois par le sultan du Maroc et par le roi du Portugal. Or les Berbères (ou Maures) repoussés par les Arabes descendirent progressivement vers le sud et s’installèrent à la frontière entre le Maroc et la Mauritanie. Ce furent eux qui initièrent les Portugais à la traite négrière."
"Dès leur arrivée, dans les années 1440, les Portugais traitèrent directement avec les Wolof de la côte sénégalaise, comme le faisaient les Arabes et les Berbères sahariens, qui leur servaient par ailleurs d’intermédiaires avec les souverains du Mali fournisseurs d’esclaves. Ils occupèrent ensuite des îles méridionales jusqu’alors désertes (celles du Cap-Vert et de São Tomé). Mais ils se retrouvèrent rapidement en concurrence avec les Espagnols (de Cadix ou de Xerez), les Génois et, un peu plus tard, les Anglais. Depuis la côte de Sénégambie ou celle de Guinée, marins et négociants importèrent des femmes esclaves sur ces îles, ce qui donna très vite naissance à une société créole métissée. Les échanges entre îles et continent devinrent bilatéraux, avec des intérêts croisés entre partenaires, quelle que soit leur origine, africaine ou portugaise. Parmi cette société créole, nombreux étaient les conversos ou « nouveaux chrétiens », des juifs (et des musulmans) convertis par la force. En effet, un peu plus de la moitié des Portugais étaient alors des « nouveaux chrétiens », qui avaient été bannis de la péninsule Ibérique par la reconquête catholique, alors même que la religion juive avait joui d’une assez grande tolérance dans l’ancien royaume de Grenade. Comme beaucoup d’esclaves débarquaient au Portugal, l’Inquisition (instituée en Espagne en 1478) mit en place un contrôle tatillon qui s’étendit aux îles, où elle chercha continûment à repérer et châtier les juifs dissimulés (d’où l’intérêt pour les historiens de dépouiller les très nombreux procès intentés à ce propos). La répression atteignit son apogée au moment de l’unification de l’Espagne et du Portugal (entre 1580 et 1640).
La plupart des juifs de la diaspora portugaise étaient pauvres. Principalement originaires de l’Algarve, région la plus méridionale et la plus chaude du Portugal, et vivant jusqu’alors en symbiose avec les Arabes rescapés de la chute de Grenade (1492), ils cherchèrent à émigrer vers des zones de climat comparable : la côte marocaine, le reste de l’Afrique du Nord, et les archipels des Canaries et du Cap-Vert. Parmi eux se trouvaient une minorité de financiers et d’hommes d’affaires, qui jouèrent un rôle important dans la traite des esclaves."
J'ajoute, puisqu'il est souvent question de redécouvrir l'histoire négrière de Bordeaux, ce non-dit : ce sont les juifs portugais faussement convertis au christianisme (marranes bien souvent retournés à leur foi juive une fois passée la menace des persécutions), qui y ont implanté ce commerce.
Les juifs, ce n'est pas tout la traite, mais ils y ont largement leur part.